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18. Voyage intérieur

Au bout d'un an en Inde, mon visa est arrivé à échéance. J'ai dû sortir du pays et me rendre au Népal et tout ce que je peux dire, c’est que je suis agréablement surprise par ce pays ! C’est merveilleux ! Me voilà dans un petit village hors du temps. Je me promène à vélo dans une nature fantastique et après une longue période de villes, ça me fait du bien. Qu'est-ce que c'est paisible ici !




J’imaginais fêter 1 an de voyage quelque part dans la montagne et pourquoi pas en face de l’Everest… Eh bien non, c’est en face de moi-même, au cœur de ma conscience et en affrontant toutes mes sensations que j’ai eu une pensée pour ce jour d’anniversaire de vie de voyageuse, ce jour où je me suis envolée vers de merveilleuses aventures et vers le chemin de la liberté, faisant le choix de vivre mes rêves et non de rêver ma vie… Aujourd’hui, une émotion de pur bonheur m’envahi alors que je pédale dans cette nature si merveilleuse. Assise à l’ombre d’un arbre, devant un magnifique stupa[1], je vous écris pour tenter de partager avec vous cette magnifique expérience que je viens de vivre… J’ai envie de pleurer de joie… Oui je suis heureuse, mes yeux sont remplis de lumière et mon cœur léger…


Durant ce voyage, j’ai rencontré tant de gens qui me parlaient de la méthode Vipassana, la doctrine de Bouddha, une méditation intensive de dix jours… Les gens en revenaient changés sans pouvoir vraiment mettre des mots sur ce qu’ils avaient vécu, si ce n’est de dire comme c’était dur mais oh combien bénéfique… Ma petite voix intérieure me disait : « Tu devrais faire vipassana » Oui mais mon ego, effrayé trouvait à chaque fois de nombreuses excuses… « Oh je n’ai pas besoin de faire vipassana, si je vais marcher seule dans la montagne, c’est pareil, et si je fais de la plongée c’est aussi de la méditation non ? Etc. » En fait j’avais trop peur de me lancer… Ce n’était pas le moment…

C’est ici à Lumbini, le lieu de naissance de Bouddha que j’ai ressenti cet appel très fort. Et s’il y a un endroit vraiment rêvé pour vivre une telle expérience, c’est bien ici à Lumbini.


Après avoir passé quelques jours seule touriste isolée dans un petit village à côté de Lumbini, j’ai franchi la porte du centre vipassana, déterminée à aller jusqu’au bout et à tout affronter… Je découvre alors un lieu dont je ne m’attendais pas du tout. C’est simple et basique, rudimentaire serait le mot approprié… Et puis je découvre que la méditation ne sera pas alternée par des marches, ce sera plus de dix heures par jour assise sur un coussin par terre ! J’ai envie de partir… Vite !J’ai envie de sortir fumer une dernière clope et m’enfiler quelques tchai…

Il n’y a que des locaux… Une étrangère arrive, puis une autre… Ouf dans un sens, me voilà un peu rassurée… Une allemande, une tchèque, une ukrainienne, un espagnol, un australien et un italien, et une trentaine d’indiens et népalais dont aucun ne parlent anglais.

Sur l’équipe des mecs étrangers, deux garçons ont abandonnés en cours de route, il n’est resté que l’australien très motivé et déterminé.

Je crois que ce qui m’a vraiment le plus surpris, c’est de constater le nombre de personnes âgées… La force, la détermination et la volonté de ces gens m’impressionne ! L’envie à plus de 60 ans d’évoluer encore vers le chemin de l’éveil, ce n’est pas beau ça ?

Le premier jour, nous arrivons vers 13 heures. Le temps que tout le monde arrive gentiment et s’inscrive, visite les lieux, prenne ses marques et fasse connaissance… Avec ma camarade allemande, nous partagerons la même minuscule chambre de 3m2 sans se regarder, sans se dire un mot ! Noble silence pendant dix jours. Quel exercice difficile que de vivre côte à côte en s’ignorant ! « But we did a great job ! » Ania et moi nous avions mis en place nos petites habitudes dans le respect l’une de l’autre. Pour l’égo c’est dur, il se sent blessé, ignoré, pas aimé… Mais finalement nous avons réussi cet exercice avec succès et je peux même vous dire que comparé à tout le reste, le silence fut facile et même très appréciable…

Pourquoi maintenir le silence pendant dix jours ? Combien de fois nous nous comparons les uns avec les autres ? Combien de fois nous parlons juste pour nous rassurer ? :

  • « Et toi tu as ressenti quelque chose ?

  • Oh oui j’ai des vibrations dans tout le corps…

  • Oh mon dieu moi je ne ressens rien… »

Alors on commence à désirer ressentir les mêmes choses que l’autre et justement, vipassana nous apprend à ne pas désirer ni fuir les sensations…

« Not craving and not devotions »

Je me rappelle ces années d’école où on se demandait les uns les autres :

  • « T’as beaucoup bossé pour cette épreuve ? »

  • « Et toi t’as fait quelle note ? »

Juste pour se rassurer et pour se comparer… Oui à l’école aussi on devrait instaurer le silence. Bref revenons à nos moutons…

La journée commence à 4h du matin. La cloche sonne… Les volontaires viennent frapper brusquement à la porte pour être bien sûr qu’on soit debout !

Dans le grand hall, les hommes d’un côté, les femmes d’un autre. Le grand hall est le seul endroit où nous voyons les hommes, nous sommes séparés… Et je peux vous dire que ça fait un grand bien que de passer dix jours juste entourée de femmes !!!

Tous assis sur des coussins par terre, nous voilà parti pour deux loooongues heures méditation, le ventre vide qui crie famine et le froid qui glace les os… La douleur est intense dans tous le corps, mais la douleur est comme toute sensation,

« she comes and pass away, coming and passing away, impermanent »…

Observer attentivement et objectivement cette douleur et prendre conscience qu’elle vient et repart…

Pour moi ces deux heures de méditation avant le petit déjeuné étaient les pires, surtout les premiers jours… Imaginez que j’avais pris l’habitude ces derniers temps de me coucher trop tard et de me lever bien trop tard aussi (j’aurais honte de vous dire à quelle heure)… Alors méditer de 4h30 à 6h30, c’était un sacré défi !

6h30 : L’heure du petit déjeuné, un moment très attendu. Le menu était toujours une surprise, parfois l’association de sucré salé était un peu surprenante mais pas mauvaise. Un tchai : le seul de la journée !!! Oh pour ceux qui me connaissent, vous imaginez ce que j’ai vécu ? En Suisse j’étais droguée au café, ici en Inde c’est le tchai qui l’a trop bien remplacé… Je consomme une dizaine de tchai super sucré par jour, c’est mon carburant et j’ai l’impression que ça me donne de l’énergie… Coupée de cette dépendance et coupée de la cigarette (une dizaine par jour), me voilà bien mal !!! Endormie en permanence, mal, très mal… Tout mon corps tendu crie en boucle : tchai, sucre, cigarettes, tchai, sucre, cigarettes… Aille aille aille… une véritable torture et cure de désintox !

Après le petit déjeuner, je retourne me coucher pour une petite heure. Ma compagne de chambre fait de même alors que les indiennes s’activent à la dernière lessive car elles ont déjà commencé à laver leurs habits à 3h30 du matin !!! Il y a un truc qu’en tant qu’occidentale on n’arrive toujours pas à comprendre : pourquoi et comment se fait-il que les indiennes et népalaises se lèvent à 3h30 pour faire leur lessive ??? Elles n’ont qu’un seul sari à laver et il faut qu’elle le lave lorsque l’eau est glacée et qu’il fait nuit entre 3h30 et 4h du mat ! C’est bien une des premières remarques qu’on s’est toutes faites lorsqu’on a brisé la loi du silence le dernier jour… Mais elles sont folles ou quoi ? Il y a aussi des tas de choses que les indiennes ne comprendront jamais en nous observant nous occidentales… Il fallait voir leur tête lorsqu’elles ont vu le sac de couchage suspendu dehors ! Eh bien la première question qu’elles ont posée: « c’est quoi ce truc ? Ça sert à quoi ? » Elles n’avaient jamais vu un sac de couchage. Et puis si vous aviez vu leur tête quand elles ont vu les strings suspendu dehors ! (euh non ce n’étaient pas les miens)

Après le petit déjeuner, la méditation reprend. De 8h à 9h, avec une « strong » détermination, on ne bouge pas un petit doigt ni un cil pendant une heure, chaque minute est une éternité… une éternité de misère et de douleur… Puis les chants annonce la fin de la souffrance et cinq malheureuses petites minutes de pause avant de reprendre la méditation de 9h à 11h…

11h : Le moment le plus attendu de toute la journée : le repas ! Mmm un vrai régal ! Au menu : le traditionnel dal bat népalais : riz, lentilles, chappattis, légumes… Ce fut à chaque fois un véritable régal de nourriture très saine. Le seul problème c’est que si après le repas on se sent rempli à craquer, deux heures plus tard on crève la dalle ! Et comme j’ai rêvé d’un petit café ou d’un petit tchai après le repas… Non juste de l’eau.

De 11h à 13h, c’est la pause. Le temps de prendre une douche (froide bien sûr), faire sa lessive quotidienne, puis se coucher sur un banc devant le petit étang en écoutant le champs des oiseaux et se reposer avant d’affronter la longue journée…

13h : la cloche sonne, c’est reparti pour 1h30 de méditation, puis 5 minutes de pause, puis encore une heure cette fois-ci sans bouger un poil, puis 1h30 et enfin il est 17h. L’heure du verre de lait, assiette de riz soufflé et soit une minuscule banane (fraîchement cueillie dans le jardin) soit une moitié de malheureuse pomme. Un régime super léger… C’est le dernier repas de la journée. Ensuite, il faudra faire face à la faim jusqu’à 6h30. Les anciens élèves, eux n’ont pas la chance de recevoir un maigre snack, ils reçoivent un verre de thé ou un jus de citron.

Après ce minuscule snack, on a le temps de s’étendre un court instant puis la méditation reprend de 18h à 19h, avec à nouveau la « strong » détermination de ne pas bouger pendant une heure. Puis c’est le moment du film. On se retrouve les étrangers, dans une salle à part, pour visionner en anglais le discours de S.N Goenka, le grand maître de l’enseignement de la méthode vipassana. Ces moments de film m’ont rassuré, encourager à aller jusqu’au bout, Goenka aime raconter des histoires et c’est un sacré personnage… Mais durant ce moment, difficile pour moi de me concentrer, j’ai trop de douleurs partout, je rêve de m’étendre, et je ne comprends pas tout le discours en anglais…

Il est 20h30, allez encore 30 minutes de méditation avant qu’on aille tous se coucher à 21h pour 6 petites heures de sommeil.

Et voilà le programme de dix jours de méditation intensive. 10h30 de méditation par jour ! Eh bien moi qui étais répulsive à toute forme de méditation… hum… Quelle métamorphose ! Vais-je continuer à un rythme d’une heure de méditation matin et soir et un réveil super matinal ? Vais-je pouvoir continuer à vivre sans tabac ? Vais-je continuer cette merveilleuse nouvelle habitude, moins de biscuits et moins de tchai ? Vais-je tenir ce pari ? En tout cas je me sens purifiée, un esprit saint dans un corps saint.

Le 9e jour, à 10h, la loi du silence est brisée… En sortant du hall, tout le monde se dit « namaste » en joignant les mains… Des sourires mais surtout des éclats de larmes d’émotions… Quel moment intense !!! Un instant dont je me souviendrai toute ma vie ! Tout le monde commence à parler, à se rencontrer… Les indiennes très curieuses arrivent vers nous les 4 occidentales et nous posent des tas de questions en hindi. C’est incroyable comme on arrive toujours à se comprendre… Que de sourires, de rires et d’émotions ! Quelle expérience d’avoir partagé ces dix jours avec des indiennes et des népalaises !!!

Il est difficile pour moi de vous expliquer toute la technique vipassana (pour les intéressés : Google est votre ami).

Si j’ai ressenti des choses dans mon corps ? Qu’est-ce qu’il s’est passé en moi mis à part vivre une intense torture pendant dix jours ? Là aussi il y aurait long à raconter et c’est assez personnel… Mais oui, au bout du 7eme jour, j’ai commencé à ressentir des sensations intenses à travers tout le corps, des vibrations qui s’écoulait de manière fluide de la tête aux pieds, l’énergie qui circulait, mon corps qui vibrait, qui tremblait… Un immense sentiment de bonheur et d’émotions m’a alors envahi ! Waouh ! Enfin ! C’est merveilleux ! Et puis le 8eme jour, plus rien, la douleur encore et l’envie de dormir, de fuir… C’est ça la loi de l’impermanence, tout vient et part, « coming and passing away »… c’est ce que nous enseigne vipassana. Dans la langue de bouddha on dit « ANNICHAA »… Puis les bonnes sensations reviennent et laissent à nouveau la place aux mauvaises…

« Vipassana est une méthode de méditation fondée sur la doctrine du Bouddha (dharma). Selon Bouddha, la vie repose sur les Quatre Nobles Vérités : la vie s’enracine dans la souffrance ; l’origine de la souffrance est le désir, la soif de plaisir ou simplement la volonté de vivre ; pour supprimer ces désirs, il faut suivre le chemin sacré qui comprend 8 ramifications : la foi juste, la volonté juste, la parole juste, l’action juste, les moyens d’existence justes, les efforts justes, la mémoire juste et la méditation juste. »

Ok en théorie c’est facile en pratique c’est plus dur… Et justement, vipassana, ce n’est pas de la théorie, c’est de la pratique… Et une fois qu’on l’a vécu, je peux vous dire qu’on en ressort forcément changé d’une manière ou d’une autre.

Siddarta Gautama avait décidé de s’asseoir sous un arbre à Bodhgaya et de méditer jusqu’à ce qu’il soit libéré de toute misère, qu’il atteigne l’illumination et devienne Bouddha. Puis il s’est mis à enseigner cette merveilleuse méthode et pour moi la découverte de cette méthode m’a vraiment beaucoup aidé et ouvert les yeux sur une autre façon de vivre et de résoudre les problèmes…

Réveillée à 5h du matin par le chant des coques, j’ai pris la bonne résolution de ne pas me rendormir et de profiter un maximum de cette journée…

Après une heure de méditation, assise sur mon lit devant la fenêtre, j’ouvre les yeux et devant moi se dresse le spectacle du lever du soleil sur les Annapurna, ces montagnes si gigantesques sont illuminées par la lumière du matin…

Je prépare mon sac car je veux changer d’hôtel et trouver un endroit meilleur marché. Même si cette chambre confortable est très appréciable et en particulier la douche chaude, je n’ai pas besoin de tout ce luxe, je cherche la simplicité et l’authenticité…

J’emporte mon jeans pour le faire laver et sur le chemin un homme m’interpelle : lessive rapide, en 4h c’est prêt. Ah c’est ce shop là que je cherchais, j’étais passé devant et je ne sais pas pourquoi parmi tant de magasins, laveries et autres, celui-là m’avait tapé à l’œil… Il n’y a pas de hasard… Lali un homme d’une gentillesse incroyable m’invite dans son shop et m’offre une tasse de thé, il me demande ce que je pense de Pokhara…

En toute honnêteté, je lui réponds que Pokara n’est pas du tout le genre d’endroit que je recherche. C’est une usine à touristes, un endroit artificiel où se mêlent restaurants et hôtels haut de gammes, bars et boîtes de nuit, magasins de trekkings, agences de changes et cybers cafés… On croise davantage de touristes que de locaux… En arrivant à Pokara après mon expérience à Lumbini où je fus seule occidentale parmi les locaux pendant trois semaines, je peux dire que j’ai eu un véritable choc ! Non je ne suis plus au Népal ! Pokara me dépayse carrément et me renvoie ces images d’Occident où le paraître et la consommation s’affichent comme une mode, des moyens artificiels d’accéder à un bonheur illusoire.

Dès mon arrivée, j’ai eu qu’une envie, fuir. Puis, finalement, installée à l’écart du centre touristique, dans une guest house sympathique mais un peu trop chère pour mon budget, je commence à prendre gentiment mes marques et mes petites habitudes comme partout où je passe. Je me dis : « arrête d’être négative et mets-toi dans une position d’observatrice, finalement c’est intéressant d’être dans un endroit pareil après avoir passé autant de temps en Inde… » .

Il y a ici des centaines et des centaines de restaurants pour touristes où l’on peut déguster toutes sortes de spécialités dans un cadre des plus chics… Eh bien, personnellement je préfère le traditionnel Dal Baat (riz, lentilles, légumes) dans un petit «dhaba»[2] rudimentaire où l’on m’accueille avec tant de gentillesse.

Lali, le propriétaire du shop et de la laverie me propose d’aller vivre chez sa maman âgée de 65 ans dans un tout petit village reculé dans la montagne… Simplicité, authenticité, voilà exactement ce que je recherchais…

L’Inde m’a rendue méfiante et moins naïve, toujours à la traque à l’arnaque… Mais l’Inde m’aura aussi appris à suivre mon instinct, à faire confiance au destin et à être attentive aux signes qui s’offrent à moi.

La journée commence plutôt bien… Quand on dit que l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, ce n’est pas tout faux !

Je m’en vais donc demain dans la montagne vivre une expérience qui promet d’être enrichissante et merveilleuse…







[1] Monument funéraire bouddhiste


[2] Un restaurant qui sert de la nourriture local

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